D’où est née ton inspiration pour Blankets ?
L’idée m’est d’abord venue de ma frustration sur la BD américaine, racontant presque toujours des histoires de SF ou de super héros. J’ai donc voulu dessiner une histoire très simple et paisible sur beaucoup de pages, à l’inverse de la vingtaine de pages d’action et de violence des comics classique. Je voulais faire un énorme album où il ne se produirait rien d’extraordinaire. Je voulais faire passer des émotions sans non plus raconter un drame. Je me suis inspirée de mon propre vécu : mon premier amour de lycée et mon enfance avec mon frère. L’histoire était prête.
Combien de temps a pris l’écriture de Blankets ?
Environ 3 ans et demi, je gagnais peu d’argent en tant qu’illustrateur, alors je dessinais pendant mon temps libre.
Ce qui est frappant dans cet album autobiographique, c’est la faculté de mémoire qu’il demande à l’auteur. A quels moments dans Blankets est-ce de la pure imagination ou du travail de mémoire ?
L’une des scènes purement inventée, est celle où le père de Raina surprend sa fille et Craig endormis dans son lit. C’est totalement imaginaire. J’en avais parfois tellement assez de tout raconter selon mon propre point de vue, que je recourais à celui d’un autre personnage.
En résumé, toutes les scènes dont tu n’as pas été le témoin direct.
Oui, tout à fait.
Le personnage de Raina est-il la fusion de plusieurs personnages ?
C’est la fusion entre deux filles. En surface, c’est la fille que j’ai aimée au lycée, mais ma vraie motivation venait d’une autre fille qui m’a brisé le cœur, et à cause de laquelle j’ai quitté le Wisconsin. Après mon départ, je n’ai jamais cessé de songer à elle. J’ai puisé mes idées et mon envie de dessiner dans ces sentiments douloureux.
Est-ce que Raina est un vrai nom ?
J’ai changé son nom. Son vrai nom aurait été parfait mais c’était trop difficile. J’ai trouvé celui de Raina en me promenant dans un cimetière. J’habite à Portland et comme il pleut tout le temps, Raina ça sonnait très bien. C’était pas commun du tout et aujourd’hui je connais deux Raina.
Pourquoi avoir fusionner deux filles et pas une seule ?
Je me suis inspiré de l’histoire que j’avais eue au lycée, mais je n’arrêtais pas de penser à l’autre fille et c’était elle qui me motivait pour Blankets.
Est-ce que Blankets a suscité des problèmes avec votre ex petite amie qui était si intimement évoquée et dévoilée dans l’album ?
Elle a rompu (rires gênés). Mais Blankets n’a joué qu’un rôle mineur dans sa décision.
Penses-tu que la déception et la tristesse sont les meilleures sources d’inspiration pour les histoires très personnelles?
Je pense que c’est une assez bonne source d’inspiration, mais je ne sais pas si c’est la meilleure. Pour Blankets, c’était vraiment le deuil de cet amour perdu.
Il y a beaucoup de fantasmagories dans Blankets, d’où t’es venue l’idée d’illustrer certains passages de manière totalement fantaisiste ?
J’ai souvent eu des hallucinations, parfois même avec mon frère en simultané. Une fois je conduisais une voiture pendant la nuit avec des amis, et il y avait un chien qui s’approchait sur la route qui a d’un seul coup déployé des ailes et s’est envolé au-dessus de nous. Une autre fois au skate-park, j’ai vu un type danser sur de l’eau ! (Rires) Je crois que c’est mon cerveau qui m’a joué des tours, c’était complètement dingue et pourtant j’ai bien eu ces visions. C’est dans cet esprit que j’ai dessiné ces passages hallucinés.
Les révélations personnelles racontées dans Blankets sur toi et ta famille t’ont-elles causé du tort?
En effet, j’ai encore aujourd’hui des conflits avec mes parents à ce sujet. Mais j’espère que nous nous réconcilierons progressivement, car cela a abouti à un dialogue profond entre nous. Je me sens très éloigné du Wisconsin maintenant, cela n’a plus d’emprise sur moi.
En somme, l’album est une lettre adressée à ta famille ?
C’est exactement ça. Chacun de mes albums est une lettre.
Tu sembles n’avoir jamais rien osé dire à tes parents jusqu’à Blankets.
Pourtant, ma mère et moi sommes plutôt proches. Mais c’est une personne très triste et cela rend notre relation difficile.
Quelle profession exerce ta mère?
Elle est réceptionniste chez un opticien. Quand j’étais môme, elle s’occupait d’handicapés, comme Raina.
Face aux difficultés de la vie quotidienne tes parents ont pu trouver refuge dans la religion. As-tu voulu leur faire passer un message d’espoir dans l’album ?
Non, contrairement à eux à mon sujet, je ne veux pas changer leur façon de penser. Je veux juste qu’ils m’acceptent tel que je suis. Je rêve que ma mère soit plus heureuse et je ne crois pas que la religion l’y aidera.
Pendant ton enfance tu as eu le même réflexe que ta mère en te réfugiant dans la religion. A un moment, tu voulais même devenir prêtre.
Tout à fait, mais je pense toujours avoir l’étoffe d’un prêtre selon l’idéal que je m’en fait. Je suis très sensible au spirituel et au fait d’aider les gens.
Tu as fini par rejeter la religion, mais as-tu également perdu la Foi ?
Je ne l’ai pas perdue, elle est juste plus libre.
Comment explique-tu que tu n’éprouves pas le moindre ressentiment envers le Wisconsin ?