Le 100e anniversaire de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand Cet été a suscité un débat sur les parallèles et les leçons que l’Europe de 1914 offre au monde d’aujourd’hui, en particulier en ce qui concerne la question de savoir si une guerre aussi dévorante est possible en Asie-Pacifique. Beaucoup d’encre a été déversée sur l’interdépendance économique, le rôle du nationalisme, l’irritation d’une puissance dominante à la montée d’une autre, et une course aux armements navals et son dilemme de sécurité ultérieur. Bien que très importantes, ces conditions préalables et précipitants, comme les appellerait Aristote, risquent d’occulter une discussion sur les déclencheurs spécifiques de la Première Guerre mondiale, des incidents qui, aussi discrets ou petits soient-ils, pourraient attirer dans les pays voisins par leur caractère multilatéral, déclenchant ainsi un feu bien plus grand que l’étincelle ne le suggérerait.
C’est aux origines de la Première Guerre mondiale que se manifestent de façon inquiétante les déclencheurs analogues d’un conflit majeur en Asie-Pacifique, en particulier entre les États-Unis et la Chine. Le Royaume-Uni a déclaré la guerre lorsque l’Allemagne a violé la neutralité de la Belgique, garantie par le traité de Londres en 1839. L’erreur que la Grande-Bretagne a commise lors de la crise de juillet 1914 a été de ne pas envoyer à l’Allemagne des signaux clairs et opportuns indiquant que le Royaume-Uni interviendrait effectivement au nom de la Belgique; cela à la lumière de crises antérieures, telles que la crise de Tanger et la crise d’Agadir, dans lesquelles la bellicosité de Berlin est restée pratiquement impunie. Ce que l’Allemagne a vu, par conséquent, était la priorité pour s’en tirer avec un comportement agressif contre les grandes puissances lors d’incidents discrets; face à une nouvelle crise provoquée par l’assassinat de l’archiduc, on comprend pourquoi Berlin choisirait de se donner le bénéfice du doute en considérant les conséquences stratégiques du plan Schlieffen. Si l’Allemagne avait compris la véritable importance de son offensive à travers les Pays-Bas, l’histoire aurait peut-être tourné très différemment.
Comme la Belgique représentait à la fois un fossé géographique et stratégique entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne, les mers de Chine orientale et méridionale le font aujourd’hui pour les États-Unis et la Chine. Comme deux plaques tectoniques, une portée chinoise croissante et des intérêts géostratégiques s’opposent au statu quo de la domination américaine sur la région. Les conditions préalables et les précipitants de la guerre sont déjà présents, et certains se développent. De plus, les déclencheurs de conflit sont également bien présents et se multiplient: la Chine a adopté une approche robuste contre les voisins maritimes avec lesquels elle a des différends territoriaux, c’est-à-dire la quasi-totalité d’entre eux. Pékin a renforcé sa présence en mer de Chine Orientale sur les îles disputées Senkaku / Diaoyu et cherche à créer de nouveaux faits en mer de Chine méridionale, qu’il s’agisse d’armer fortement les Philippines sur le haut-fond de Scarborough et d’autres formations terrestres, ou de se déplacer dans les eaux revendiquées par les Vietnamiens pour forer près des îles Paracels contestées. À l’avenir, il est même possible que la question de Taiwan – le différend territorial insulaire originel de la région – se relance. Les déclencheurs de conflits abondent dans les eaux littorales de l’Asie, dont beaucoup concernent les alliés des États-Unis.
Aussi problématiques que soient ces déclencheurs, la plus grande crainte est que la Chine finisse par souffrir de la même perception erronée que l’Allemagne. Jusqu’à présent, les actions de la Chine n’ont fait l’objet que de peu de contrecoup substantiel de la part des États-Unis ou de quiconque: les différentes prises de contrôle en mer de Chine méridionale n’ont pas été inversées. On pourrait essayer d’expliquer ce taux de réussite en faisant valoir que la Chine n’est pas téméraire, que Pékin ne cherche que des confrontations qu’elle sait pouvoir gagner. Même si cela était vrai, cette perception engendrerait un excès de confiance et une hypothèse de prévisibilité future de la part des autres acteurs. Si les actions chinoises au cours des prochaines années ne se heurtent pas à un retour en arrière substantiel ou à des tentatives de punition infructueuses, la Chine pourrait alors devenir de plus en plus audacieuse dans ses provocations et pourrait mal calculer les réactions des autres puissances à mesure que les événements s’intensifient.